Même si nous sommes toujours fiers de partager avec vous nos découvertes, certain(e)s artistes sortent indubitablement du lot. C’est le cas de Daphné Dauvillier qui, avec Debout, a su éveiller en nous une multitude d’émotions.
Un concept album, comprenant un CD et un livret mettant à l’honneur des femmes de 1914 à nos jours. Des tranches de vie aux textes ciselés portés pas des mélodies envoutantes.
Daphné a gentiment accepté de répondre à nos questions:
Premièrement, peux-tu te présenter pour nos lecteurs qui ne te connaîtraient pas encore ?
Je m’appelle Daphné Dauvillier. Je suis parolière – compositrice et interprète. Mes chansons évoquent la place des femmes dans la société française depuis les années 1900.
Après avoir rodé certains titres dans un premier spectacle intitulé « Féminin Pluri’Ailes« , j’ai sorti, le 16 juin dernier, un premier album « Debout » et prépare actuellement le spectacle du même nom.
Comment t’es venue l’idée du concept-album « Debout » ? Et d’ailleurs, peut-on parler de concept-album ?
Oui je pense qu’on peut parler de concept-album même si je n’ai pas décidé un jour d’écrire sur la place des femmes, ni même spécifiquement sur les femmes. Mais je me suis très vite aperçue que mes textes traitaient très souvent de portraits de femmes. En outre mon intérêt pour l’Histoire m’a donné envie de raconter les générations passées, de placer mes héroïnes dans des problématiques d’autres époques .
D’ailleurs, pourquoi « Debout » ?
Quand il a fallu trouver un titre à cet album, je me suis interrogée sur le dénominateur commun de toutes ces femmes dont les vies se racontent sur plus d’un siècle. La réponse me semblait être qu’elles avaient toutes vécu des vies riches, denses, parfois difficiles, parfois épuisantes pendant lesquelles elles n’avaient jamais renoncé, jamais baissé les bras. Bien sûr elles pouvaient ressortir de ces épreuves un peu cabossées, un peu rafistolées, mais finalement toujours souriantes, résilientes et surtout toujours « Debout« .
Comment as-tu recueilli toutes ces tranches de vie qui composent le magnifique livret qui accompagne l’album ?
Ces dix histoires sont le fruit de mon imagination. Avant de me lancer dans l’écriture d’une chanson, en règle générale, je lis des romans, des études, des thèses, j’écoute des podcasts, des documentaires…puis je laisse cette avalanche d’informations faire son chemin dans ma tête, parfois pendant plusieurs mois. C’est au bout de ce long processus que je me glisse dans la peau d’une amoureuse de 1914, d’une femme des années 60 ou d’une mère en pleine dépression post-partum. Donc pour répondre à ta question, chaque tranche de vie est inventée à partir de toute cette « nourriture » qui me permet d’écrire sur une femme qui n’existe pas, mais qui pour moi a un prénom, un âge, une histoire et souvent un visage que je m’amuse à dessiner.
Il y a un décalage flagrant entre la modernité de tes propos et le classicisme de leur orchestration. Pourquoi avoir opté pour un tel fossé ?
Pour ce tout premier album, j’avais envie de faire découvrir mon univers en le centrant essentiellement sur les mots, le propos. Je voulais quelque chose de sobre, voire minimaliste, doux, enveloppant pour adoucir l’âpreté de certains textes et faisant la part belle à la clarinette. C’était le « cahier des charges » donné à Roxane Converset qui a arrangé l’album hormis « C’est que du bonheur ! » arrangé par Kahina Coignet.
Tu n’hésites pas à aborder des thèmes tabous comme le baby blues (dans « C’est que du bonheur ! »). Est-ce important pour toi de mettre parfois le doigt là où ça fait mal ?
Cela me semble non seulement important, mais essentiel. Tout l’enjeu de mon travail est d’essayer de témoigner de situations vécues par les femmes dans leur époque.
Pour prendre l’exemple de « C’est que du bonheur ! » que tu cites, je tenais à parler de la dépression post-partum et de la violence que cela représente pour la maman qui se trouve dans un état de grande souffrance psychologique et qui très souvent s’interdit d’en parler à quiconque, convaincue que ce qu’elle ressent fait d’elle un monstre, puisque toute la société lui dit à longueur de temps qu’être mère « c’est que du bonheur ! » .
Après, j essaie aussi de montrer au travers de mes chansons tout ce qui a déjà évolué sur le dernier siècle, du début d’émancipation des femmes au sortir de la.guerre de 1914 -1918 aux apports de la loi Veil de 1975.
C’est ma façon de dire « Allez, les filles, on avance et on lâche rien ! »
Lorsqu’ un homme écoute ton album, le sentiment qui en ressort c’est le mal-être, souvent caché, que ressentent tes héroïnes. Une femme peut-elle être bien dans sa peau en 2023 ?
Bien-sûr qu’une femme peut être bien dans sa peau en 2023 ! Heureusement !!!
Il ne faut pas oublier que les chansons sont des instants de vie qui produisent un « effet loupe ». Si « Comme une gamine » évoque la violence faite aux femmes, elle le fait par le prisme d’une femme qui se reconstruit, qui est parvenue à sortir de cet enfer.
Quand j’évoque, sous forme humoristique, dans la chanson « Saint Paul de Vence« , la charge mentale que les femmes emportent dans leur valise en vacances, je ne raconte pas une femme malheureuse ou mal dans sa peau, juste une mère de famille qui en a assez de porter tout son petit monde à bout de bras et que tout son entourage ne voit même pas que cela puisse être problématique.
C’est ce que raconte « La femme Kintsugi » : on peut traverser des épreuves, avoir quelques cicatrices et en faire quelque chose de plus beau, de plus solide que si on avait jamais rien vécu. Et cela s’applique très bien aux hommes aussi
Que penses-tu de la nouvelle vague féministe qui submerge l’art et la culture depuis quelque temps ?
Je pense que l’onde de choc du mouvement MeToo continue et continuera encore longtemps à se diffuser. En libérant la parole sur les agressions sexuelles, en montrant l’ampleur du phénomène au niveau mondial, ce mouvement a amené les femmes à prendre la parole progressivement sur tous les dysfonctionnements sociétaux, toutes les inégalités auxquels elles doivent faire face au quotidien. L’ethnologue féministe Françoise Héritier avait évoqué dès le début du mouvement la possibilité de soulever non pas un coin du voile, mais tout le voile, de tirer tous les fils pour repenser la question du rapport entre les sexes. C’est exactement ce qu’il s’est passé et si l’Art est là pour montrer, faire réagir, pour orienter le regard alors la parole féminine avait sans doute le devoir d’investir l’art et la culture pour témoigner de la mutation sociale que nous vivons
Enfin, quelle question ne t’a-t-on jamais posée, mais à laquelle tu aimerais répondre ?
Quel autre moyen d’expression artistique que la chanson aurais-tu aimé pratiquer ?
J’aurais adoré, à l’instar du clown russe Slava Polunin, savoir créer, sans un mot, juste par le geste et la musique, un monde de poésie et de tendresse…
Un énorme merci à Daphné Dauvillier d’avoir répondu à nos questions. Nous avons découvert une femme et une artiste d’exception.
Vous pouvez la suivre sur sa page Facebook:
https://www.facebook.com/daphne.dauvillier
Propose recueillis, le 06 septembre 2023, crédit photo de mise en avant: Sandra Ancelin.
- DEBOUT
- De: DAPHNÉ DAUVILLIER
- Genre: Chanson française
- Nombre de pistes: 10
- Date de sortie: 16 juin 2023
- Label: Autoproduit
Album magnifique. Chanteuse d’exception qui mérite d’être connue !
Entièrement d’accord avec vous.
Très belle interview et surtout magnifique album d’une artiste complète, à la fois sensible et espiègle. Un univers profond qui mérite d’être découvert!