Christophe Bonjour,
« Vortex » est assez difficile à définir. Ce n’est pas vraiment un thriller, ni un film fantastique. Dans quelle catégorie le rangerais-tu ?
C’est tout ça à la fois. Un film non-conventionnel et inclassable tout simplement. La singularité de « Vortex » est justement dans son mélange de plusieurs genres (fantastique, thriller, drame, une touche de l’horreur intime) dans un montage très expérimental et une forme personnelle. Les références stylistiques étaient diverses et hétérogènes : du Giallo italien au cinéma Bis asiatique en passant par le J-horror, l’avant-garde des années 70, le cinéma indépendant américain, le ‘slow cinema’ contemporain et le film d’auteur moderne mexicain. Mais mon parti pris esthétique était le minimalisme et la suggestion. Ne pas tout montrer mais opter la voie de l’évocation et le hors champ.
Comme dans « Ultravokal« , le personnage féminin est beaucoup plus fort et libre que « l’homme « . La sorcière joue ici le rôle de mère, d’amante et de geôlière. Pourquoi cette constante de la femme forte dans ton oeuvre ? (En passant, Julien Romano et Claudia Fortunato sont tout simplement exceptionnels dans ce film).
Ce n’est pas une représentation constante de toute mon œuvre. Mes premiers films montrent des femmes plutôt soumises et torturées. Certes le rapport du pouvoir a changé dans mes films récents. Mais tout est affaire de Pouvoir dans les relations personnelles et sociales. Je vois la société par le prisme des rapports de domination/soumission. Pour moi l’intime est toujours une allégorie du politique et du social. La maison, la famille, le couple, le duo, l’homme et la femme, sont toujours des unités organiques d’une métaphore sociétale. Dans « Vortex », c’est Claudia Fortunato qui joue le rôle d’une jeune femme sorcière moderne et mystérieuse, qui a un passé de militante politique et qui a fuit la ville pour se retrouver en campagne et établir une relation organique et intime avec la nature, avant de croiser le tueur bizarre, joué par Julien Romano.
D’ailleurs le personnage masculin nous a fait penser au héros du livre « L’étranger » d’Albert Camus. Un homme ni présent, ni absent et pas vraiment conscient de ce qu’il fait. Est-ce aussi comme ça que tu le perçois ?
C’est une bonne référence, l’absurdité du personnage plongé dans la violence du monde. Un homme qui fait face à la vie, dans sa cruauté la plus frontale, la plus viscérale. C’est à la fois une victime qui devient bourreau à cause des crimes de la société. On ne naît pas assassin ni tueur, on le devient. Dans « Vortex » je pousse l’idée de la cruauté jusqu’à l’extrême, dans sa complexité : il n’y a pas de gentils et de méchants, ni de héros ou de héroïne, les personnages réagissent face aux aspérités du réel, injuste et très violent parfois.
On reçoit « Vortex » comme un coup de tête de Depardieu à la grande époque. Penses-tu qu’à l’heure où le cinéma tend à s’aseptiser de plus en plus il est important de garder une certaine liberté artistique, quitte même à choquer le public ?
Comme le dit si bien Pasolini : le scandale est un devoir pour les artistes. Oui j’y crois (encore) à la force de la provocation, profonde et non gratuite, du cinéma. Le potentiel de subversion est énorme dans ce domaine, thématiquement et esthétiquement et c’est bien un grand dommage de constater son formatage actuel dans notre époque lisse, politiquement correct, dangereusement sécuritaire et bien-pensante. Il est essentiel pour moi de rester libre et de proposer ma vision du monde sans concession. Remettons alors à table la Transgression comme menu principal et « Gloire à ceux par qui le scandale arrive » !
D’ailleurs quels ont été les retours des premiers spectateurs dans les festivals où tu as présenté « Vortex » ? Tu accumules les prix avec ce film, comment se sent-on face à cette avalanche de récompenses ?
Le film a fait un beau parcours festivalier à l’international et nous attendons, impatiemment, sa Sortie en salles française par Visiosfeir Distribution. Une sortie qui était reconduite à cause du confinement.
« Vortex » a eu des sélections formidables dans des festivals à la fois généralistes et spécialistes du genre « Fantastique » tels que Buffalo Dreams Fantastic Film Festival aux Etats-Unis (Prix du Meilleur WTF Film), Festival Montevideo Fantastico en Uruguay (Prix du Meilleur scénario, Meilleure actrice, Meilleur acteur) ou encore le Dracula Film Festival à Brasov en Roumanie). C’est dans ces festivals où les réactions furent tumultueuses car leur public, dans leur majorité, sont habitués à voir des films de genre conventionnels en s’identifiant au codes du genre or avec « Vortex » ces habitudes et conforts sont complètements subvertis et annihilés ce qui a conduit à des fortes réactions, des fois de rejet et des fois d’adhésion admirative. C’est un film qui divise. On verra comment sera la réaction des spectateurs français à sa sortie au cinéma en Octobre…
Le film est construit en deux parties. La première est très crue et ancrée dans le réel et l’homme y est très bavard et nous expose sa vision de la vie. La seconde, qui bascule dans le fantastique, est quasi sans dialogue. Pourquoi un tel changement ? D’ailleurs, d’où t’es venue l’idée de la façon assez singulière dont la sorcière donne ou ôte la vie ?
Encore une fois, c’est une allégorie de la vie. Le film est composé, avec un montage poético-conceptuel, en trois parties : L’homme, La femme, La rencontre. Et c’est la base de la dramaturgie classique. L’idée était de partir de quelque chose de commun pour la transgresser et l’exposer de façon nouvelle, personnelle, innovante. La première partie frénétique avec un montage court et haché est effectivement assez bavarde où le tueur expose son quotidien par la voix-off qui commente les images et son action. Et c’est équilibré par une deuxième partie plutôt lente et silencieuse. C’est aussi une affaire de forme et de dynamique. Le rythme au cinéma est une question très cruciale qui m’obsède à chaque fois que je fais un film. La troisième partie est à la fois sensorielle et organique exhibée par des longs plan-séquences très composés mais le tout est animé par le sang, qui reste la matière élémentaire et basique de « Vortex ». Le sang ! L’idée m’est venue en discutant avec l’actrice Claudia Fortunato qui était très engagée dans ce film, et s’est montrée comme comédienne très inventive. C’est aussi de longs échanges, à distance, que j’ai eu avec la co-scénariste, May Kassem, qui travaillait sur le film depuis l’étranger.
Il y a quelque chose d’assez Oedipien dans « Vortex« , que ce soit littéralement ou métaphoriquement parlant. Pourquoi développer un thème aussi tabou ?
Cela fait partie de mes obsessions les plus enfouies, les plus lointaines, celles des origines. Tous mes films tournent autour de cette question, d’une manière ou d’une autre, consciemment ou indirectement, ça ne relève pas de l’autobiographie bien évidemment mais ça concerne mon vécu quelque part. « Vortex » est un ensemble de tabous, qui rassemble plusieurs substances, charnels et vitales, élevant les pouvoirs de l’horreur, dans l’abject. Ça commence par un bruit alarmant sur des images d’archives de la guerre civile libanaise que j’ai vécu enfant dans les années 80, pour en terminer avec une dévoration gourmande sur un sourd éclat de tonnerre résonnant. Sur le plan formel, c’est un film-manifeste, qui synthétique une dizaine d’années d’expérimentations stylistiques dans mes autres long-métrages de fictions depuis 2011… Cela me rappelle mon film « Beirut Kamikaze » réalisé en 2010 comme une synthèse de ma première dizaine de création avec des courts métrages expérimentaux et essais. Des films Manifestes, on les voit surgir tous les 5 ou 10 ans.
Tu nous a parlé récemment que tu t’apprêtais à tourner un nouveau film. Peux-tu nous le pitcher ou est-ce encore trop tôt ?
C’est une étrange année avec le COVID-19 ! Mon projet était prévu en avril et également repoussé pour septembre mais naturellement il a subi des modifications et évolutions. Ce sera un film très critique et politique. Il s’agit de pousser encore plus loin la question du fantastique, non pas uniquement dans la bizarrerie et l’insolite comme dans « Vortex », mais encore plus dans l’effroi et l’horreur. Si une sorcière et un vampire se sont croisés dans « Vortex », l’heure des Loups-Garous sera au rendez-vous !
Merci Christophe.
Pour ceux qui l’auraient raté, vous pouvez retrouver notre article sur le film Vortex ici. Nous vous invitons à aller voir ce long-métrage en masse afin de soutenir ce réalisateur de talent qu’est Christophe Karabache.
Propose recueillis, le 18 aout 2020 et retranscrits d’après une interview par mail .